jeudi 8 juillet 2010

Métro

Le peuple veule habite une antre souterraine, le terrier de la bassesse où se déchaînent les pires instincts. Le temple mystique de la cité où l'homme, deux fois par jour, vient sacrifier sur l'autel de la bêtise. J'ai l'honneur de vous présenter le métropolitain aux heures de pointe.

Aujourd'hui, forcé par les circonstances, j'ai décidé de risquer ma vertu dans ce cloaque. En m'avançant vers la bouche de la station, je commence par me faire alpaguer par des associatifs qui veulent me faire cotiser à leur putain d'ONG pourrie. Des petits branleurs, des étudiants de la fac sapés comme des clodos : sandales moisies, pantalon-sari sorti tout droit d'une brocante vintage, les cheveux qui retombent en dreads à force d'oublier ce que signifie le mot shampooing. Quelle bande de faux-culs : ils sont là avec leur sourire mielleux comme si t'étais leur meilleur pote, alors qu'ils ont très bien reniflé en toi le jeune golden-boy, ce même capitaliste qu'ils assassinaient verbalement il y a quelques mois pendant les manifs anti-CPE. Je crois qu'ils militent pour la paix dans le monde ou un truc comme ça. Je les envoie chier sans aménité, c'est tout ce qu'ils méritent.

J'arrive aux portillons. Comme par hasard, il faut qu'il y ait un boulet devant moi qui découvre le système pour la première fois. Il fixe son ticket comme une poule qui serait tombée sur un oeuf. Je change prestement de file, c'est là qu'un connard se glisse à ma suite et se colle à mon cul pour passer avec moi sans payer. Pour qui me prend-il, ce sodomite ? Pour l'armée du salut ? L'air de rien, je m'arrête brutalement à la sortie pour regarder ma Rolex; il n'a pas le temps de se dégager, les portes se referment sur lui. Ca va lui dégommer les côtes flottantes, bon débarras.

C'est déjà bondé sur le quai. En me faufilant, je parviens au bord du vide, en tête pour entrer dans la rame. La voici justement qui arrive. Un frisson parcourt la foule, c'est la lutte finale, le grand ballet commence. Chacun sur le quai n'a plus qu'une obsession: rentrer coûte que coûte. Or certains dans le métro en ont une autre: sortir coûte que coûte. Malheureusement pour eux, le flux montant n'en a strictement rien à carrer.

Vous en faites pas, les gars, ça va bien se passer, un peu de discipline et chacun sera content. Mais c'est sans compter avec l'inquiétude qui les empêche de réfléchir. Une véritable panique qui leur enlève le peu de neurones qu'il leur restait. Les portes ne se sont pas encore ouvertes devant moi que je peux déjà sentir dans mon dos la pression de la horde aux abois. Je m'efforce de la contenir pour laisser descendre quelques passagers, qui vont de toute façon devoir jouer des coudes pour se tailler un passage dans cette jungle. Je serais eux, je sortirais un flingue en hurlant, je vous raconte pas comment ça s'ouvrirait devant eux en moins de deux. J'imagine derrière moi les pauvres beaufs bouillant d'impatience de s'engouffrer dans leur train-train quotidien.

Ce qui est extraordinaire, c'est qu'une fois rentrés, il ne leur vient pas à l'idée qu'il existe derrière eux d'autres gens : à peine le marchepied franchi, ils s'arrêtent net, en plein passage, au lieu d'aller remplir le fond. C'est parfaitement absurde, mais c'est ainsi: tout le monde est massé près des portes, à en étouffer, pendant que les allées sont vides. C'est vrai, on ne sait jamais, des fois que le métro prenne feu, il faut être les premiers à sortir. Le pire, c'est que ça fait chier tout le monde, y compris eux, mais personne ne réagit. Ils tirent la gueule, mais rien à faire, une sorte de torpeur s'est saisie d'eux, ils préfèrent souffrir en silence plutôt que de passer à l'action. Ce serait pourtant tellement facile qu'il y en ait un qui sorte du lot et qui harangue les autres pour qu'ils dégagent un peu. Je suis sûr qu'ils n'attendent que ça, ces pros du grégarisme.

Seulement voilà, en France, dès que t'as un comportement un peu original, tu te fais tout de suite regarder de travers. Et l'exclusion, ça fait grave flipper mes contemporains. Oh, il suffit de pas grand-chose: rien qu'en parlant un peu plus fort que la moyenne - rien qu'en souriant même, tu deviens suspect. Garde les yeux baissés! Alors, prendre la parole face à une foule, faut pas déconner, tu passes direct pour un taré: le vrai suicide social.

À Montparnasse, ça descend en masse, ouf. Je me trouve une place assise. Un mendiant en profite pour monter. Un bavard, il se met à insulter les passagers. C'est normal, c'est l'hiver, il a froid, il est stressé, c'est sa manière à lui de décompresser. Et puis exclu pour exclu, autant y aller à fond. Je les kiffe, ces champions de l'irrévérence, ils crachent souvent des vérités du genre pas bonnes à dire. Bon, généralement ça vole pas très haut, ce sont des gros trucs de poujadiste, mais parfois ils sortent une petite "miette philosophique" qu'ils ont enfantée la nuit dernière, du genre "Madame, vous êtes grosse, et à cause de vous personne ne peut d'asseoir sur le strapontin à côté". Tout le monde plonge le nez dans un bouquin ou fixe le tunnel par la fenêtre. C'est sûr que la caverne, c'est plus intéressant que le philosophe qui gesticule à deux mètres de toi. C'est Platon qui serait content.

Mais à Falguière, mon pote se fait voler la vedette par un Roumain. Un accordéoniste. Ou plus exactement, une merde qui appuie au hasard sur toutes les touches en bouffant deux temps sur trois. "Bôjour madame messieurs un petit pièce pour la mouzik merci". Encore s'il nous jouait des tubes de chez lui, je sais pas moi, des danses populaires de Bartok, ou une sonate d'Enesco, je dirais rien. Mais là, il nous envoie des vieilles rengaines à sa sauce genre Sous le Ciel de Paris, La Complainte de la Butte et je ne sais quoi d'autre. Revisitées et réarrangées par ce bouffon, ça donne des valses en si bémol écrasé à sept temps et demi. Il ose demander de la thune pour ça. Je le foudroie du regard, pendant que je glisse ostensiblement un bifton de cinquante euros à mon pote le philosophe, il en revient pas.

Bientôt Pasteur, il est temps de descendre. Une grosse lorgnait ma place depuis un bout de temps. Comme elle ne veut surtout pas se la faire piquer, elle se précipite dessus. Attends un peu, Maïté, avant nous devons nous croiser. Mais elle refuse cette évidence, elle ne voit qu'une chose, le siège vide. Elle tente de me forcer le passage en soufflant comme un boeuf. Quelle conne. Un bon coup d'épaule, et elle se calme direct.

Heureusement que la grève des taxis se termine demain, pas question d'affronter ça tous les jours.

1 commentaire:

  1. Très drôle. À part que les accordéonistes, ce sont quand même ceux qui se débrouillent le mieux dans le métro je trouve (style commandante che guevara à la guitare je commence à difficilement le souffrir). Hâte de lire la suite dudes.

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